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Renaud Dély : L'Épreuve de la gravité

Le grand saut

Éditorialiste et auteur de fictions autour de la politique, Renaud Dély livre avec Le grand saut un roman sensible et intime, où la trajectoire du champion olympique Pierre Quinon vient dialoguer avec celle de l’enfant spectateur du délitement de sa propre famille que le journaliste a un jour été.

Dépasser la peur du vide sans jamais s’appesantir. Pour ce premier Grand saut dans le monde de l’intime, Renaud Dély avait placé la barre haute en osant croiser le destin de Pierre Quinon au sien. Le souvenir de l’athlète franchissant la barre des 5 mètres 75 sous la chaleur du Memorial Coliseum de Los Angeles n’a pourtant rien de l’instant aérien où le corps, détaché provisoirement des lois de la physique, se libère de toute crainte et de toute douleur. Attachant et complexe, le perchiste dont il a suivi l’exploit en direct l’a toute sa vie renvoyé à sa douleur originelle. Celle d’une enfance passée dans le silence d’une famille marquée par l’absence et la dépression.

Cette histoire, le journaliste l’a écrite telle qu’il l’a vécue. Sa plume fait ainsi renaître le difficile souvenir dans un style aussi vif que le débit d’un commentateur sportif, qui enfièvre le lecteur plus encore que la performance héroïque elle-même. Les mots finissent par se courir après, à grandes enjambées, pour évoquer ces silences que la mémoire a rattaché à l’exploit olympique. Puis le récit s’échappe de la piste qu’il foulait. La performance historique cède la place au réel, aux passions et aux liens distendus, à mesure que les épisodes douloureux se répondent. C’est dans cet intime partagé entre le champion déchu et l’enfant victime des douleurs des adultes que Renaud Dély nous plonge. Mais cette fois, le drame est exorcisé. Contrairement à l’envol de Pierre Quinon, le roman n’est jamais rattrapé par la gravité malgré la douleur qui traverse ce délicat enchevêtrement d’histoires personnelles. Il s’en détache très simplement, dans un geste que seul la littérature permet. Celui de la vie par-delà l’absence.

 

Yves Czerczuk