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Pourquoi la France doit mieux protéger ses lanceurs d'alerte

Le lanceur d'alerte n'est pas un délateur

David contre Goliath / Le coût de la vérité

Toute vérité est-elle bonne à dire ? Si vous souhaitez éviter les ennuis, pas si sûr. NSA, LuxLeaks, Dieselgate, Wikileaks… Derrière ces affaires qui ont fait trembler le monde, il y a des femmes et des hommes courageux qui ont osé révéler les dérives des institutions auxquelles ils appartenaient, quitte à s’exposer à de lourdes représailles. Il peut s’agir de corruption, d’atteinte aux libertés, de fraude fiscale, de mise en danger du public ou de l’environnement, de violences policières etc. Pour avoir brisé le silence, les lanceurs d’alerte risquent le licenciement, la mort sociale, le harcèlement, les poursuites judiciaires, voire l’exil ou la prison. Si certains obtiennent justice a posteriori, c’est au prix de procédures interminables.

Le lanceur d’alerte, persona non grata en France ?

Le cas d’Edward Snowden est emblématique. En 2013, il dénonce la surveillance de masse perpétrée par la NSA. La motivation revendiquée par l’Américain ? Tout simplement « dire au public ce qui est fait en son nom et ce qui est fait contre lui ». Cette B.A. lui vaut une inculpation par le gouvernement Obama pour espionnage, vol et utilisation illégale de biens gouvernementaux, ce qui le conduit à se réfugier en Russie où il vit encore à ce jour. Malgré des demandes répétées, Edward Snowden se verra systématiquement refuser l’asile par la France. Les lanceurs d’alerte embarrasseraient-ils la patrie des Droits de l’Homme ? Impensable, et pourtant…

Une figure qui dérange

Dans un pays où le spectre de la collaboration hante les esprits, la figure du lanceur d’alerte est encore trop souvent associée à celle du délateur, du traître. Pourtant, tout les oppose. Là où le délateur agit dans l’ombre pour son profit personnel, le lanceur d’alerte se met en danger pour l’intérêt général. Ses révélations désintéressées sur les dysfonctionnements de nos sociétés s’inscrivent dans le cadre de la liberté d’expression (qui, rappelons-le, ne s’use que lorsqu’on ne s’en sert pas) et du droit à l’information, deux piliers fondamentaux de l’État de droit. Aussi, il est essentiel d’apporter au lanceur d’alerte une protection à la hauteur des enjeux, sous peine de fragiliser la démocratie tout entière. 

Une protection insuffisante

Sur le papier, c’est le rôle de la loi Sapin II votée en décembre 2016. Premier pas dans le bon sens, cette disposition demeure malheureusement lacunaire. Parmi ses défauts notoires, il y a le fait qu’elle impose de prévenir l’employeur avant de procéder à tout signalement public ; un comble pour une démarche qui consiste bien souvent à s’élever contre sa hiérarchie. En décembre dernier, la Défenseure des droits Claire Hédon appelait ainsi à renforcer « les droits des lanceurs d’alerte, qui ne sont pas aujourd’hui pleinement garantis ». Elle invitait notamment à leur fournir un « fonds de soutien » et une « aide juridictionnelle sans condition de ressources », une assistance primordiale pour des individus qui font face à une procédure de licenciement et à des poursuites-bâillons.

Mettre un terme à la loi du silence

Dans son livre coup-de-poing, l’avocat Pierre Farge rend hommage aux lanceurs d’alerte d’Irène Frachon à Chelsea Manning et dénonce l’hypocrisie politique ainsi que les réponses judiciaires kafkaïennes de la France face aux signalements. En expert du droit, l’auteur propose une réforme pour enfin offrir un soutien digne de ce nom à ces précieuses vigies et éviter qu’ils sombrent dans l’auto-censure. Parce que, d’après les mots d’André Gide, « c'est souvent lorsqu'elle est le plus désagréable à entendre qu'une vérité est le plus utile à dire ».

Simon Boileau