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Isabelle Sorente : Fais comme l'oiseau

La Femme et l'oiseau

Après Le Complexe de la sorcière, Isabelle Sorente explore une nouvelle fois dans La Femme et l’oiseau ce qui s’inscrit en nous depuis le fond des âges et notre manière d’être au monde, à la faveur d’un trio puissamment romanesque de « Malgré-nous », chaque personnage étant pris à sa façon dans une histoire qui n’est pas la sienne. 

Cela pourrait être une simple histoire de double burn-out mère fille. Mais sous la plume d’Isabelle Sorente, tout prend l’apparence d’un enchantement. La Femme et l’oiseau ne fait pas exception à ce principe d’écriture sorcière faite de sauts et de déliés où la phrase brusquement s’élève au cœur du brasier du roman. C’est dans ce souffle incandescent que l’on rencontre trois âmes au bord du vide. Thomas, vaillant et farouche nonagénaire vivant en lisière de forêt dans les Vosges, reçoit un jour un appel affolé de sa petite-nièce Elisabeth. Cette directrice d’une grande maison de production voit son monde vaciller quand sa fille, Vina, est exclue de son établissement après avoir violemment menacé un camarade. Si son aïeul passe pour un vieux mystique atrabilaire, aux yeux d’Elisabeth il est simplement « Tom », auprès de qui elle retrouve naturellement le refuge de son enfance et vient déposer la colère de son adolescente de quatorze ans.  

Cette famille composée par-delà les âges, les distances et les différences sont les « Malgré-nous » du passé et du présent, prisonniers de combats qu’ils n’ont pas choisis. Thomas, enrôlé de force dans l’armée allemande en 1940 et Vina, née d’une mère porteuse à l’autre bout du monde, découvriront bientôt le lien fascinant qui les unit, dépassant le soupçon permanent d’être au monde, explorant ce qui du passé se sédimente en nous comme les nervures s’impriment dans le bois et laissant leur esprit déployer ses ailes le long des transmissions obliques du monde pour mieux le regarder de plus haut. Isabelle Sorente fait encore là puissamment acte de littérature en nous permettant de sentir avec eux « le vent qui souffle à travers nous » selon le mot de Malcolm Lowry.  

Noémie Sudre