Dans son premier roman, Julia Pialat élabore son récit autour de trois jeunes parisiens partis à la conquête de l’industrie musicale, bien décidés à bousculer leur milieu et leur destin. Il y a là Margaux, l’apprentie DJ, French, le disquaire érudit, et Cobra, la future étoile du rap français. Et puis, surtout, il y a « S.S.D ». C’est le surnom que les habitués du quartier de Strasbourg-Saint-Denis ont donné au périmètre contenu entre le Sentier et la Gare de l’Est. Quelques rues à l’ambiance surchauffées, quadrillées par les salons de coiffure africains, les restaurant turcs et les terrasses assaillies par tous les fêtards de la capitale. Sous la pression de ses fidèles de plus en plus nombreux, Strasbourg Saint-Denis change constamment de peau, les prix de l’immobilier décourageant les plus modestes d’y rester… Plus qu’un décor, un personnage à part entière de ce roman que nous fait découvrir la néo-romancière à travers trois lieux emblématiques.
L’autrice nous a d’abord donné rendez-vous chez Jeannette, un bistrot à la décoration soignée, mélange de café d’antan et de bar branché avec moulures au plafond et néons suspendus au-dessus du comptoir. « C’est un lieu emblématique qui fédère la scène du quartier et qui est devenu un fief pour beaucoup », selon elle. On y croise parfois quelques célébrités musicales, du chanteur Eddy de Preto, en passant par les membres du groupe de rock La Femme ou ceux du collectif électro Acid Arab. Au-delà du glamour, Jeannette c’est surtout un poste d’observation privilégié pour Julia Pialat : « Plus tu remontes la rue du Faubourg-Saint-Denis, plus les lieux et la population qui les fréquentent se gentrifient. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment les communautés cohabitent en un seul endroit, un peu comme dans le film Do the right thing de Spike Lee. Ici, c’est un peu le point de jonction entre ces mondes. »
Comme un symbole, 400 mètres plus haut trône l’hôtel et restaurant Grand Amour. Dans ce lieu ultra-stylisé, où toutes les entrées du menu dépassent la barre des dix euros, l’ambiance feutrée détonne avec la clameur habituelle du quartier. Ici, pas de terrasse : la salle est retranchée derrière une verrière hermétique. « C’est très enclavé et symboliquement c’est un peu violent. Il fait partie de ces lieux qui imposent tout de suite une distance sociale, qui vous fascine et vous met mal à l’aise en même temps, » estime la romancière. Propriété de l’artiste André, graffeur et vandale à ses débuts, le Grand Amour fait cependant, à sa manière, le lien entre une scène underground et la jet-set la plus argentée. Doctorante en sociologie, la jeune femme se passionne pour ce genre de contraste : « Démographiquement parlant, c’est assez fascinant toute cette diversité dans un si petit périmètre. D’un autre côté, j’avais envie aussi de nuancer les critiques habituelles contre la gentrification dans mon roman. Paris a toujours été fait par des investisseurs avisés qui repèrent les opportunités et vont faire vivre des quartiers, voire les régénérer. On en trouve déjà la trace dans les romans du XIXe, ceux de Zola par exemple. »
La visite prend fin devant la porte Saint-Denis, sorte de réplique réduite de l’Arc de triomphe, qui marque le point d’entrée et de sortie de S.S.D. « Elle est squattée par les pigeons et par des gens assis sur des chaises en plastique… Elle a un côté majestueux et déglinguée à la fois ! C’est à l’image du quartier en fait, et c’est exactement pour ça que les gens l’aiment », sourit l’autrice. À quelques centaines de mètres de là, les clubs des Grands Boulevards, le Grand Rex en tête, sont un appel pour tous les artistes en devenir qui franchissent cette porte, des rêves de gloire plein la tête : « Il y aussi la salle de concert du New Morning qui est juste à côté, tout un tas de studios d’enregistrement de musique, plein de boîtes de production… Tout ça créé beaucoup de collaborations et une émulation intellectuelle et artistique assez magique. » La fièvre de S.S.D n’est pas près de s’éteindre.
Paul Sanfourche