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Oxmo Puccino | Itinéraire d'un poétiseur

Les réveilleurs de soleil

Plus de vingt ans après ses premiers freestyles au sein du collectif Time Bomb, Oxmo Puccino s’apprête à publier son premier roman. Ce nouveau chapitre a tout d’une évidence pour un artiste complet qui a toujours su casser les codes et aller là où on ne l’attend pas.

Né au Mali, Oxmo Puccino grandit dans le XIXe arrondissement de Paris. Très jeune il tombe amoureux du hip-hop. Le rappeur baryton se forge vite une réputation grâce à ses talents de conteur hors du commun et son sens de la formule : « Grandir sans père, c'est dur. Même si la mère persévère, ça sert, mais pas à trouver ses repères, c'est sûr. / Perdre sa mère c'est pire, demande à Pit, je t'assure. T'as pas saisi, enlève la mer de la Côte d'Azur » (Mama Lova).

Avec des morceaux cultes comme Pucc Fiction, il se démarque par son sens du storytelling. Rapidement, il se distingue de ses pairs en rappant tout autre chose que les histoires de gangsters et de quartier. Inspiré par Notorious Big comme par Charles Aznavour, il conjugue les influences hip-hop et chanson française pour forger une verve unique. Son premier album, Opéra Puccino, est profond, lyrique, mélancolique. Sur l’inoubliable piste L’Enfant seul, il aborde les registres de l’intime et la solitude, alors inédits dans le rap. Certaines mesures restent gravées dans les mémoires, à commencer par les toutes premières : « T'es comme une bougie qu'on a oublié d'éteindre dans une chambre vide, tu brilles entouré de gens sombres voulant te souffler ». Deux générations d’auditeurs plus tard, le disque est toujours célébré comme un classique incontournable et donnera lieu à deux concerts anniversaires complets à l’Olympia en 2018.

Mais la carrière de celui qui se définit comme un « poètiseur » ne fait que commencer. Au fil des albums, Oxmo Puccino refuse tout formatage et trace son propre chemin, quitte à sortir des sentiers battus. Interrogé par l’ABCDR du Son, il confie « je ne veux pas être comme ces artistes qui font un succès ou une bonne chanson, et qui vivent ensuite dessus pendant des dizaines d’années. Je trouve que c’est tricher ». Rappeur ? Chanteur ? Peu importe l’étiquette, pourvu qu’on ait la poésie. Artiste perpétuellement en recherche ce touche-à-tout passe du rap au chant dans L’Amour est mort, un second album en noir et blanc où il fait à nouveau montre d’une maîtrise certaine dans le maniement de la langue et des concepts de chanson. En 2006, c'est la rencontre avec le mythique label Blue Note. Entouré de son groupe "The Jazzbastards", Oxmo Puccino nous livre un concept album jazz sur une thématique de film noir. En 2009, sort L'Arme de Paix, un album « naturellement hip-hop, évidemment musical, impérativement positif récompensé d'une Victoire de la Musique et certifié disque d'or sur lequel on retrouve Olivia Ruiz. Les collaborations justement sont un marqueur de sa carrière hors norme. De –M– à Orelsan, de Damon Albarn à Ibrahim Maalouf, il se nourrit de la musique et des parcours de ses congénères. Aussi, c’est tout naturellement qu’il est décoré Officier des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture en 2020.

Plutôt qu’un tournant, l’écriture d’un roman représente donc un aboutissement pour ce conteur tout-terrain qui enchaîne les histoires depuis 1998. Dans Les Réveilleurs de soleil, Rosie vit avec son grand-père qui cultive des plantes. Quand l’astre cesse de se lever, la petite fille part à sa rencontre pour le convaincre de revenir. Une fable tout en finesse signée par un auteur accompli et bien décidé à ne pas rester à la place qu’on lui a assignée. Car, comme il l’écrit si justement, « le talent, c'est l'audace que les autres n'ont pas ».

Simon Boileau