Interview croisée avec Olivia Ruiz & Véronique Grisseaux
À quel moment est né ce projet d’adaptation ?
Olivia Ruiz : Dès ma signature chez JC Lattès en vue de la publication du roman. Comme pour mes chansons, l’inspiration me vient de l’image. C’est probablement ce qui a fait penser à mon agente qu’il était essentiel de prévoir une BD. D’autre part, j’aime la BD et les arts graphiques depuis toujours, mais mon talent s’arrête au dessin de la tête à Toto !
Quelles furent les étapes de travail pour la création du roman graphique ?
Véronique Grisseaux : J’ai d’abord rendu une espèce de squelette puis j’ai écrit un résumé page par page. Une fois les validations d’Olivia reçues, j’ai pu m’atteler au découpage avec des explications très précises sur les cases, les dialogues. Ce n’est qu’après que les illustrateurs ont pu commencer à travailler.
Olivia Ruiz : Nous avons eu régulièrement des discussions croisées entre Véronique, les éditions Lattès, Bamboo et les dessinateurs. Bien sûr, c’est moi qui effectuais le plus d’ajustements pour rester fidèle au fond mais tout s’est passé dans la fluidité. Amélie est dotée d’une véritable force de travail et une grande sensibilité. Winoc, qui a créé le story-board et les décors, possède, comme moi, une vision très cinématographique de l’histoire.
« Adapter, c’est trahir », dit-on. Qu’en pensez-vous ?
Olivia Ruiz : Il y a une dizaine d’années, cela aurait pu m’être très douloureux, aujourd’hui, plus du tout. Quand une œuvre est mise à disposition, elle n’appartient plus à son auteur. C’est aussi cela la beauté de la création : que d’autres s’approprient une histoire qu’on a imaginée. En revanche, il m’ apparaissait essentiel que la psychologie des personnages ne soit pas trahie. Il y a aussi quelque chose de culturel : Rita et sa sœur ont l’Espagne au fond de leur âme et un langage teinté de patois occitan, il me semblait donc important d’y apporter un peu de mes origines culturelles.
Véronique Grisseaux : Ce n’est pas une libre adaptation du roman : tous les dialogues sont bien ceux d’Olivia. Je suis même allée jusqu’à garder les chapitres et l’ordre chronologique de l’histoire. Je ne prends pas la place de l’auteure : l’œuvre reste le bébé d’Olivia qui a pu ensuite peaufiner les détails avec Winoc et Amélie.
La musicalité du roman se retrouve bien dans cette adaptation.
Véronique Grisseaux : Il y a quelque chose de très sensuel, très sanguin dans l’écriture d’Olivia. Cela lui ressemble. Et j’ai tenu à garder cette dimension dans mon adaptation.
Olivia Ruiz : Peut-être que comme dans une chanson, je recherche un petit refrain, une « punchline » qui se cache dans quelques citations fortes qu’on retrouve dans l’adaptation graphique.
C’est un vrai challenge de passer de plus de 200 à 80 pages…
Olivia Ruiz : Je crois que le cadre limité permet paradoxalement à la créativité de s’exprimer. Les choses les plus cruciales dans la vie de Rita, l’une des héroïnes, se sont imposées grâce à la limitation du nombre de pages.
Véronique Grisseaux : J’ai eu l’impression d’être Edward aux mains d’argent, c’est parfois frustrant de tailler le texte, mais dans le fond, j’adore cela. Après avoir longtemps travaillé pour la télé (Un gars, une fille), j’ai basculé dans l’univers des romans graphiques. Le travail d’adaptation me passionne. J’ai l’impression d’être une actrice qui se glisse dans un rôle, dans une histoire. C’est d’ailleurs toujours très difficile ensuite de quitter l’univers dans lequel j’étais plongée.
Olivia, quelle documentation avez-vous fournie à Amélie Causse et Winoc ?
Olivia Ruiz : J’ai transmis quelques photos personnelles mais surtout des clichés de comédiens et de comédiennes qui m’inspirent. Par exemple, il me semblait évident qu’un des personnages devait ressembler à Joaquin Phoenix. Il n’y a rien d’intime dans mon histoire. Il n’y a pas une femme qui ressemble à ma mère, à ma grand-mère ou à ma tante. Et pourtant, je pourrais dire ce qui m’a inspiré chez chacune d’entre elles. Entre la source d’inspiration et le résultat, il y a un univers entier.
Quelles sont les caractéristiques de l’écriture d’Olivia ?
Véronique Grisseaux : Il est bien plus aisé d’adapter un texte que l’on a aimé… Et là, ce fut un véritable coup de coeur, un roman que j’ai trouvé profondément poignant. L’écriture d’Olivia est vraie, vient de ses tripes. On sent toute la part de vécu familial.
Dans la BD, on ressent peut-être encore un peu plus toute la souffrance liée à l’exil.
Olivia Ruiz : Lors de mes cours d’histoire au collège, j’avais été choquée de voir comme cette période de l’histoire espagnole, le franquisme, est passée sous silence. J’ai voulu rendre hommage à ces exilés un peu oubliés, mais aussi aux migrants en général. Traiter de la peur de l’étranger qui n’a aucun fondement, si ce n’est la peur de l’inconnu, était important à mes yeux et très actuel. Le camp que l’on voit au début, c’est un peu la « jungle de Calais » 80 ans auparavant. Certains épisodes de l’histoire auraient pu être une leçon pour l’avenir mais il est effrayant de voir qu’ils se répètent pourtant.
Quelle place tient la BD dans votre vie ?
Olivia Ruiz : Une grande place ! D’Art Spiegelman à Manu Larcenet en passant par Riad Sattouf ou Benjamin Lacombe, je n’ai pas un goût facile à identifier. J’adore aussi Fabcaro, et j’ai grandi avec Fluide Glacial, Pilote, Les Schtroumpfs, Astérix et Obélix, Gaston Lagaffe, Liniers ou Quino, je reste une grande fan de Mafalda… C’était la culture de mes parents et ce lien affectif avec la BD a grandi avec moi.
Cette adaptation vous a-t-elle donné envie d’écrire une suite à cette histoire ?
Olivia Ruiz : Je me l’interdis en roman car il me semble que les suites sont toujours décevantes. Mais reprendre la voix de Rita dans une BD me ferait très plaisir… Une suite en format BD pourrait être décomplexant, et il reste tant à écrire.
Une adaptation au cinéma est-elle prévue ?
Véronique Grisseaux : Le cinéma demande un travail d’adaptation vraiment différent. J’ai longtemps travaillé pour la télévision, et aujourd’hui, je me sens très heureuse dans l’univers de la BD.
Olivia Ruiz : Cela reste un fantasme. Pourvu que ce roman finisse entre les mains d’Almodóvar (Rires) ! En tout cas, je me sens chez moi dans son cinéma. Il parle aussi beaucoup de femmes et de sororité. Je me dis que cette Commode n’arrête pas de me faire des surprises et qu’il y a plein de jeunes réalisateurs et réalisatrices qui sont de futurs Almodóvar. On n’est pas obligé de rencontrer Dieu, on peut toujours collaborer avec l’un de ses apôtres !