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L'Ambition du bonheur : des destins miroirs de l'Histoire

L’Ambition du Bonheur suit le parcours d’Anna et Charlotte, les deux grands-mères de l’auteure, à travers les soubresauts de la première moitié du XXème siècle. Roman foisonnant aux allures de saga, ode à la force et au courage féminins, précieux témoin de notre passé… vous allez adorer ce roman, énorme succès littéraire outre-Rhin.

Enfant déjà, Katharina Fuchs se passionne pour l’Histoire qu’elle voit comme une somme de destins exceptionnels à explorer. Et très tôt, elle perçoit l’importance, et même l’urgence, à interroger ceux qui ont vécu et fait l’Histoire, et à profiter de leur expérience et de leur sagesse. Très proche de sa famille, elle s’est ainsi placée en témoin privilégié, buvant les paroles de ses parents et surtout de ses grands-mères Anna et Charlotte. De conditions et de caractères radicalement opposés, - Anna, issue d’une famille modeste, ayant vécu la pauvreté et le dénuement dans le Berlin de 1919 avant de devenir modiste pour le célèbre magasin KaDeWe ; Charlotte, grande propriétaire terrienne de la Saxe-, ces deux femmes partageaient néanmoins un même courage et une même ténacité face à l’adversité, traversant deux guerres mondiales la tête haute. Deux femmes ambitieuses, aux désirs et aux secrets que Katharina Fuchs n’a eu de cesse de vouloir percer, se plongeant notamment avec fascination dans le journal intime de Charlotte écrit entre 1933 et 1953. Et c’est tout naturellement que cette passionnée de lecture et d’écriture a commencé à coucher sur le papier le roman de ces deux femmes étonnantes… Et puis la vie a pris le dessus. Katharina Fuchs est devenue Katharina Sulzbach, avocate et juriste, mais toujours passionnée des mots. En 2011, elle publie d’ailleurs Westenladies, roman satirique dans lequel elle dresse un portrait drôle et sans concession de la bourgeoisie de Francfort où elle réside. Visiblement peu rancunière, la ville en fait le livre le plus vendu de l’année ! Suivront deux autres succès satiriques, avant que l’agent de l’auteure ne découvre l’ébauche de roman sur ses grands-mères. Pressentant tout le potentiel de ce manuscrit, son agent le met aux enchères à la Foire du Livre de Francfort… et le succès auprès des éditeurs est immédiat. Voilà donc Katharina Fuchs (pour ce projet intime et personnel, elle a choisi d’écrire sous son nom de jeune fille) prête à se replonger dans l’histoire d’Anna et Charlotte. Débute alors une intense période de recherches durant laquelle l’auteure lit tout, regarde tout, retourne sur les lieux où ont vécu et travaillé ses grands-mères, et surtout interroge ses parents qui répondent sans détour à ses questions, même les plus délicates (notamment sur le viol d’Anna par les vainqueurs soviétiques). À sa sortie, le roman est un immense succès public (plus de 200 000 exemplaires vendus) et prouve que l’Histoire n’est jamais mieux comprise et appréhendée que lorsqu’elle est lue à travers le prisme de destins individuels.

C’est ce roman que vous avez entre les mains… et que vous n’allez plus vouloir lâcher. L’alternance de points de vue permet non seulement de comparer les destinées de ces deux femmes que tout oppose, mais surtout de créer de mini cliffhangers à chaque fin de chapitre. Maîtrisant les codes du thriller, l’auteure parvient à rendre palpable les menaces sourdes de l’Histoire faisant redouter le pire au lecteur (le chapitre décrivant la présence d’Anna à une soirée du NSDAP est en cela exemplaire). Mais l’auteure sait aussi trouver le juste équilibre entre ombre et lumière, s’attachant à rendre vivante l’atmosphère de l’époque, décrivant avec précision, mais sans lourdeur, les objets et les lieux (notamment les étoffes que l’on croirait voire virevolter devant nous et surtout le KaDeWe, ce temple du luxe où la vente est un spectacle et qui se fait le plus scintillant des miroirs de cette période tourmentée). Certains diront sans doute que certaines situations sont attendues et que l’auteure tombe parfois dans les écueils d’une gentille mièvrerie, mais qu’importe ? Les destins d’Anna et Charlotte n’en sont pas moins fascinants et percutants. Ce roman se fait aussi récit initiatique montrant deux jeunes filles pleines de vie et de caractère, impatientes de grandir et de vivre leur vie, mais qui se heurtent à la dureté d’une société profondément patriarcale et à la violence de la Première Guerre Mondiale qui les « déniaisera » tout à fait. L’Histoire n’aura de cesse de troubler et malmener leurs vies, dont elles parviennent pourtant à maintenir le cap. Ce récit de vies montre aussi comme les corps se révèlent et les corps se dévoilent. Malgré les horreurs de la guerre, Anna et Charlotte ne cesseront jamais d’être des femmes pétries de rêves, de désirs et de regrets aussi… Le fait que ces deux femmes soient de conditions sociales opposées permet également d’aborder la question de la conscience de classe, des désirs de chacun à s’affranchir de son milieu pour trouver sa voie et sa place… une tâche d’autant plus difficile lorsque l’on est une femme. Tous les personnages féminins du roman sont à cet égard passionnants. Grand-mère, mère, cousine, amie, toutes les femmes qui gravitent autour d’Anna et Charlotte se révèlent complexes et fortes. Le personnage d’Ella, femme célibataire sans enfant qui use de ses charmes pour survivre, est l’un des plus fascinants. Mais quelles que soient leurs différences, ces figures féminines sont liées par une indéfectible sororité que les aléas de l’Histoire ne parviendront pas à briser. Ce que l’on fait de nos vies, les choix, les souvenirs, les regrets, tout ce qui fait une riche et dense « poignée de vie », voilà ce que résume ce roman. « Personne ne peut remonter le temps », il faut l’accepter et continuer à avancer coûte que coûte, « en gardant la tête haute même quand le cou est sale » (l’un des dictons d’Anna que l’auteure préfère !)

Le roman se termine sur un passage de relais entre les générations, Anna et Charlotte laissant la lumière à Gisela et Felix, les parents de l’auteure, qui sont d’ailleurs les héros de Neuleben, le second tome de cette grande saga familiale qui sera bientôt traduit en France. En attendant de le découvrir, plongez-vous sans plus tarder dans L’Ambition du Bonheur, un roman dense et passionnant qui vous donnera sans aucun doute l’envie d’en apprendre davantage sur l’histoire de votre propre famille…

Juliette Courtois