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FILLE A : Remonter le fleuve des morts-vivants

« La Fille A. Celle qui s’est enfuie. Si quelqu’un avait une chance de s’en sortir, c’était toi. »

Comment s’extirpe-t-on d’un cauchemar éveillé quand on a été enfant martyr ? C’est cette question qu’a choisi de sonder la primoromancière et avocate britannique Abigail Dean pour entrer en fiction. Sous ses allures de roman noir et une narration clinique, Fille A déroule la trajectoire éclatée d’une fratrie rescapée de l’horreur et se permet au passage une habile illustration littéraire des conséquences du traumatisme infantile.

La Fille A du titre, nous ne la connaissons pas et ne la connaîtrons jamais vraiment. Pourtant c’est sa voix que nous entendons le long des 400 pages du premier roman d’Abigail Dean. Fille anonyme ? Non. État civil : Alexandra Gracie, née dans une famille unie sur la lande anglaise, quatre frères et deux sœurs, aujourd’hui avocate de profession. Fille à papa ? Pourquoi pas, si seulement le « Père » tout puissant n’avait pas d’un coup sévèrement dégénéré de paisible paroissien porté sur l’informatique à tortionnaire alcoolique et illuminé. « Fille A », c’est son matricule. Celui par lequel les médias du monde entier la connaissent depuis qu’elle a fui la maison de l’horreur de Moor Woods Road et délivré sa fratrie martyrisée, désormais classée par l’administration en « Garçons A à D » et « Filles A à C ». 

« Vous avez tous ce même regard, comme si une partie de vous-même était encore affamée »

Femme Alpha, donc, celle que tout le monde appelle désormais Lex (la loi en latin) se retrouve investie d’une drôle de mission en tant qu’exécutrice testamentaire après la mort de leur mère en prison. Retrouver ses frères et sœurs éparpillés aux quatre vents relève alors plus d’un voyage sur le Styx que d’une simple formalité administrative. Adultes exsangues, Ethan, Gabriel, Noah, Delilah, Evie… n’ont jamais vraiment quitté les quatre murs qui ont abrité leur supplice et sur lesquels ils doivent à présent statuer en apposant leur signature au bas d’un document. À la fois sauveuse et gestionnaire de la famille, Lex aurait peut-être pu s’en sortir. Mais c’est compter sans le fait qu’elle porte désormais cette histoire, narratrice inquiétante et sidérée d’un passé qui demeure pas plus loin qu’un saut de ligne ou qu’une page qu’on tourne. Elle nous parle de très loin et d’une voix blanche, celle de l’enfant traumatisée qui jamais vraiment ne revient d’entre les morts. 

Noémie Sudre