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Première : ballet maudit

Grande adepte du suspens, la romancière américaine Megan Abbott nous transporte au cœur d’une école de danse avec Première, un conte ultra moderne et cruel, teinté de romantisme noir et d’érotisme.

Acte 1. Les Fondations  

À quoi rêvent les jeunes filles ? Certains vous répondront : de tulle rose, de chaussons de pointes et d’arabesques virevoltantes. Et du prince charmant bien sûr… Tout ça traîne bien dans un coin de la tête de Dara et Marie. Mais un coin reculé, noir et tortueux. Héritières, à la mort soudaine de leurs parentsd’une prestigieuse école de danse aux côtés de Charlie - ex jeune premier, quasi-frère et devenu le mari de Dara - les deux sœurs ont grandi côte à côte, la main sur la barre mais finalement tête bêche. À l’heure où s’ouvre le premier acte du sombre ballet qui va se jouer, la bouillonnante Marie a quitté la maison et vit désormais hors du regard de défiance de la glaciale Dara. Mais la préparation annuelle du grand spectacle de Noël passe avant leurs discordes : les élèves trépignent et se jaugent en attendant la distribution du traditionnel Casse-Noisette qui se joue chaque année.  

Acte 2. Le Brasier 

Cette drôle de sarabande vire carrément au macabre quand les flammes s’emparent un soir de l’une des salles de répétition. Plus de peur que de mal, mais il faut bien remettre sur pied ce grand corps en décrépitude qu’est l’école de danse. C’est là qu’entre en scène Derek, entrepreneur entreprenant, bâti comme une armoire à glace. John Wayne mal dégrossi, il pose ses guêtres là et, comme le grand méchant des opéras, semble jeter un mauvais sort sur la petite compagnie déjà flétrie. Il s’immisce bientôt au cœur de l’intimité des deux sœurs et les embarque en parasite dans une sinistre valse. 

Acte 3. L’Écartèlement  

Puis tout craque et se disloque, depuis les murs jusqu’aux carcasses douloureuses et désarticulées des danseurs. L’atmosphère devient de plus en plus torve, horrifique et empreinte de luxure. Jusqu’où ira l’emprise ? Dans une langue foisonnante voire poisseuse où suintent les fluides et saillent les corps écartelés par les désirs et les doutes, Megan Abbott engage un pas de deux littéralement endiablé avec les grands maîtres du thriller (on pense à Hitchcock, De Palma, Argento...). Poussant jusqu’à l’outrance ses souvenirs d’école de danse et de gamine, la romancière livre une fable ultra contemporaine sur le désir des jeunes filles et le passage de l’enfance à l’âge adulte… et de comment dégommer les arabesques et le prince charmant.

Noémie Sudre