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Par-delà l'attente : Ode à la justice

Après L’avocat était une femme, série de portraits de grandes avocates coécrite avec la journaliste Lisa Vignoli, Julia Minkowski, elle-même avocate pénaliste, nous offre Par-delà l’attente, un premier roman troublant et passionnant. En prenant pour figure centrale la fascinante (et bien réelle !) avocate Germaine Brière qui défendit notamment les tristement célèbres Sœurs Papin, le roman se fait une merveilleuse et très poétique ode à la justice et un percutant manifeste féministe qui laisse deviner la force du combat de l’auteure pour la défense de la place des femmes dans la justice.

Avocate et auteure féministe engagée

Son nom vous est peut-être encore inconnu, mais Julia Minkowski est pourtant l’une des plus grandes avocates pénalistes françaises. Qu’il s’agisse de retentissantes affaires politico-médiatiques, telles les affaires Clearstream ou Bygmalion, ou de dossiers plus confidentiels, chacun des cas traités par Julia Minkowski est l’occasion pour elle de révéler son talent, son exigence et surtout sa vision d’une justice empreinte d’humanité et de compassion. Une justice que l’avocate conjugue avec fierté au féminin, menant sans relâche et depuis des années un combat pour mettre en avant les avocates dans la défense pénale… celles qu’elle appelle les ténoras du barreau. En 2013, elle cofonde le Club des Femmes Pénalistes, et en 2021, elle coécrit avec la journaliste Lisa Vignoli L’avocat était une femme, série de neuf portraits d’avocates pénalistes qui reviennent sur les grandes affaires qui ont jalonné leurs carrières. Des parcours d’autant plus exceptionnels qu’ils ont été marqués par la misogynie et le sexisme d’un milieu profondément masculin et conservateur. Un livre qui se fait donc aussi le manifeste d’un féminisme de combat et qui rappelle que ce qui fait un bon avocat n’a jamais été le fait de parler plus fort que les autres et d’imposer un physique comme métaphore d’un quelconque rempart protecteur, mais bien sa capacité à écouter victimes et prévenus sans préjugés et en toute fraternité… une qualité qui met hommes et femmes sur un pied d’égalité, tout comme celle de la maîtrise des mots qui transforme chaque avocat en alchimiste du langage. Une maîtrise des mots que Julia Minkowski a puisée dans sa passion étant enfant pour la lecture, de polars et thrillers notamment. Agatha Christie, Ruth Rendell, Mary Higgins Clark comptent parmi ses auteures préférées. Autant de femmes qui ont su s’imposer dans un univers très masculin. Coïncidence ? De ces lectures avides et passionnées est rapidement né le désir de devenir romancière à son tour. Un désir que Julia Minkowski assouvi enfin avec Par-delà l’attente, un premier roman passionnant et richement documenté.

Fresque judiciaire et portrait de femme

Une vague photo, un nom cité rapidement dans un article ou un compte-rendu, de rares anecdotes distillées par quelques historiens locaux… voilà tout ce qu’il reste aujourd’hui de la carrière de Germaine Brière, pourtant grande avocate des années 30. C’est cette femme injustement tombée dans les oubliettes de l’Histoire alors qu’elle pava, sans le savoir, le chemin pour toutes les avocates pénalistes à venir, que Julia Minkowski a choisi comme figure centrale de son roman. L’action se déroule en 1933, alors que le retentissant procès Papin bat son plein. Germaine Brière défend Christine, l’une des deux « bonnes meurtrières », celle dont le comportement suscita le plus de haine et que l’avocate tenta de protéger coûte que coûte d’une exécution pourtant appelée de ses vœux par une société bourgeoise et conservatrice, horrifiée par les dérives de ceux qui sont censés la servir. Une société pétrie d’un patriarcat qui en sclérose toutes les strates et les organes, y compris celui de la justice. « Une justice qui n’a de féminin que le déterminant » et au sein de laquelle Germaine Brière a dû se battre pour s’imposer et faire éclater les carcans dans lesquels on voulait l’enfermer…. Se battre et se défendre aussi, notamment lors du procès qu’elle intenta au Barreau du Mans qui lui refusait le droit d’exercer après avoir mené une enquête à charge totalement injustifiée. Le certificat de virginité que l’avocate dut fournir pour exercer apparaît aujourd’hui comme la plus dérangeante des hérésies. Germaine Brière était une femme libre, moderne, une amante passionnée, une fille dévouée, mais surtout une avocate déterminée à donner une voix « aux faibles et aux oubliés ». Pour elle, « son métier était une essence, une empreinte ». « Repousser la haine hors de la salle d’audience », faire reculer le fanatisme et l’obscurantisme, telles étaient les missions que l’avocate s’imposait comme un sacerdoce.

Le roman nous fait également suivre les raisonnements et questionnements de l’avocate dans une sorte de contre-enquête passionnante… c’est d’ailleurs dans ces moments-là que transparaissent le plus les codes du roman à énigmes que Julia Minkowski a su faire siens. L’attente du verdict de ce procès hors-norme est aussi l’occasion de retracer les grands moments de la carrière de Germaine Brière dont celui de l’affaire Henri-Louis Nicolas, violeur et agresseur de femmes, qu’elle défendit jusqu’au bout et qu’elle accompagna jusqu’au pied de l’échafaud. Une expérience traumatisante qui lui procura horreur, colère et dégoût face à la barbarie et à la lâcheté d’une société qui refuse de voir ses criminels pour ce qu’ils sont : des hommes de chair, d’os et de sentiments. Tous ces moments d’attente sont également comblés de digressions éthiques et philosophiques dessinant le portrait d’une société que l’avocate veut contribuer à transformer. Dans chacun de ces intermèdes se devine la voix de Julia Minkowski qui nous offre avec Par-delà l’attente un magnifique portrait de femme puissante, et une ode poétique et passionnée à la justice et aux valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité. Un premier roman qui fascine et bouleverse.

Juliette Courtois