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Génial, ma mère est morte : se réapproprier son histoire

Plongée enfant dans l’enfer de la célébrité, victime de l’emprise d’une mère toxique, Jennette McCurdy a sombré dans une spirale autodestructrice avant de retrouver sa voix et son moi grâce à l’écriture. Génial, ma mère est morte ! est un livre cru et brutal mais baigné de lumière et d’espérance. Des mots qui font écho à ceux de Britney Spears qui s’est, elle aussi, livrée sans fards dans La femme en moi. Des témoignages puissants et cathartiques.

L’envers du décor

Projetée très jeune sous le feu des projecteurs, Jennette McCurdy ne sait rien des joies tendres d’une enfance sans histoire. L’industrie du divertissement est tel Barbe-Bleue : elle attire pour mieux briser, offrant sous un visage faussement protecteur, un cœur prédateur qui transforme ses jeunes proies en marionnettes et objets de désir contrôlés et exploités par appât du gain et soif de pouvoir. L’ex enfant star dit tout de la honte et de l’anxiété causés par les jugements permanents, l’hyper-sexualisation incessante, l’attention violente et vorace des médias. En état d’hyper-vigilance constant, Jennette McCurdy a adapté son comportement pour survivre, choisissant d’être passive et accommodante en surface, mais suffoquant intérieurement, livrant sans cesse bataille à son double désireux, lui, d’exprimer ses besoins et désirs. Un témoignage qui fait écho à celui de Britney Spears qui, dans son livre La Femme en Moi, décrit la misogynie et les violences endémiques d’une industrie qui transforme « les corps en propriété publique qu’on peut policer, contrôler, critiquer et utiliser à sa guise. »

Déconstruire les mythes

Britney Spears et Jennette McCurdy ont en commun d’avoir subi une emprise familiale d’une extrême violence. La mise sous curatelle de Britney Spears par son père a fait la une des journaux du monde entier, mais nul ne pouvait imaginer le degré de contrôle exercé sur tous les pans de sa vie. Plus rien ne lui appartenait, tout son être se dissolvant sous le regard cupide de son entourage. Le témoignage de Jennette McCurdy est plus troublant encore, car il s’attaque au mythe de la figure maternelle. Narcissique, égocentrique, manipulatrice, déversant un fiel toxique sur les blessures physiques et morales qu’elle infligeait, la mère de Jennette McCurdy a sciemment et méthodiquement brisé son enfant, l’utilisant comme moyen d’obtenir la vie qu’elle n’avait jamais eue et qu’elle pensait mériter, n’hésitant pas à se servir de son cancer comme ultime arme de manipulation. Chacune à leur manière, Jennette McCurdy et Britney Spears font voler en éclats cette norme sociale qui consiste à systématiquement placer les parents sur un piédestal, dénonçant avec force l’emprise dont elles ont été victimes.

Se réapproprier son histoire

Écrit très peu de temps après l’abrogation de sa curatelle, le livre de Britney Spears est un témoignage à vif. Celle qui fut l’une des plus grandes stars des années 2000 a encore un long chemin à parcourir pour redéfinir son identité, sa singularité, et retrouver ce pouvoir qu’elle possédait autrefois et qu’elle regrette de n’avoir alors pas su mieux exercer. Le livre de Jennette McCurdy, lui, est « empreint de cette légèreté qu’on ne peut développer qu’après avoir réellement tourné la page d’un incident éprouvant ». Son livre n’est pas une manière de dénouer ses traumas -ce travail, elle s’y attèle en thérapie depuis maintenant presque dix ans-, elle voulait au contraire en faire quelque chose d’objectif mais non dénué d’une réjouissante dose d’humour noir, comme le prouve son titre qui ne fut pas sans provoquer quelques remous outre-Atlantique ! Flirtant avec la tragicomédie, Jennette McCurdy ne cache rien de ses troubles alimentaires, de ses TOC, de ses addictions ; elle montre aussi combien le processus de déconstruction d’une figure maternelle idéalisée a été éprouvant. Mais, retraçant son parcours avec une rigoureuse et sincère honnêteté, elle montre qu’elle en est sortie victorieuse. Aujourd’hui, elle peut se consacrer à l’écriture qui lui offre enfin le sentiment de « maîtriser quelque chose ». Seule face à sa page, sans peur du jugement et sans jamais craindre de devoir renier son intégrité, Jennette McCurdy peut enfin se réapproprier son histoire et redevenir le sujet de sa vie.

Juliette Courtois