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Fann Attiki : Révolte poétique

Cave 72

Dans son premier roman Cave 72, lauréat du Prix Voix d’Afrique 2021, Fann Attiki dépeint non sans ironie les absurdités d’un régime autoritaire, tout en révélant la beauté et la fougue d’une jeunesse prête à tout pour défendre ses libertés. Touchant, drôle… et terriblement d’actualité.

Premier roman et premier coup de maître pour Fann Attiki qui nous offre, avec Cave 72, un savant mélange des genres. Le talentueux auteur congolais place son roman sous la tutelle de Freud pour qui « en plaisantant, on peut tout dire, même la vérité », et le moins que l’on puisse dire c’est que Fann Attiki maîtrise à la perfection humour et ironie pour dénoncer les absurdités d’un régime autoritaire. Si l’on ne peut s’empêcher de rire face à certaines situations ubuesques, on est aussi profondément troublé par cette peinture d’un régime pour qui « la vérité n’est qu’une question de perspective » et qui n’hésite pas à manipuler les informations et tordre la mémoire du passé pour créer sa propre réalité. Tout n’est que jeu de pouvoir (« la raison du désordre de l’Humanité ») et jeu de dupes, chacun intriguant pour maintenir son autorité et conserver ses privilèges. C’est ainsi que Cave 72 se transforme en véritable thriller. À mesure que le piège se referme sur les jeunes héros, étudiants au verbe aussi haut que leur anticonformisme, accusés à tort de nuire aux intérêts de la nation, la tension augmente, renforcée par la structure de ce roman chorale où l’alternance des points de vue oblige le spectateur à rassembler les pièces du puzzle pour tenter de comprendre qui tire les ficelles de cette mascarade. Mais Cave 72 est bien plus qu’un thriller et une satire politique, c’est aussi et surtout un roman porté par l’amour… l’amour d’un peuple pour son pays, le Congo. Ce roman est l’histoire des sept jours de la création d’une résistance dont Maman Nationale, propriétaire haute en couleur de la fameuse Cave 72, est la figure tutélaire couvant ses « anges » de son indéfectible tendresse. En eux, elle voit « l’espoir d’un Congo moderne, uni et épanoui » et pour eux elle se battra jusqu’au bout. Maman Nationale, et sa jeune protégée Esther, prostituée au courage aussi grand que son cœur, sont le symbole de la reprise en main du pouvoir par les femmes, alors même que tout concourt à les réduire au silence. Poète, slameur et comédien, Fann Attiki est un fervent défenseur de l’oralité et cela se ressent dans son écriture chantante et dansante qui bruisse des rumeurs de la rue où s’entremêlent dialectes et chansons, célébrant ainsi les richesses du Congo et de son peuple dont Attiki souligne l’inébranlable joie de vivre et la foi en l’avenir malgré les fantômes des tragédies passées qui rôdent encore. Sombre parfois, mais surtout tendre, lumineux et poétique, Cave 72 est un plaidoyer en faveur d’une jeunesse qui brandit les armes de la culture et de l’éducation dans un combat pour la liberté dont l’écho se fait entendre bien au-delà des frontières du Congo. Passionnant.

Juliette Courtois