D’où vient la phrase du titre, « Madame il fallait partir » ? Qui la prononce le plus souvent ?
Ce titre correspond à la réponse que j’ai entendue de la part d’une Juge aux affaires familiales il y a plus de dix ans lorsque j’étais en charge de mon premier dossier de violences conjugales. Cette magistrate ne comprenait pas la raison pour laquelle ma cliente ne souhaitait pas déposer plainte et surtout pourquoi elle avait attendu autant de temps pour sortir de cette union. Malheureusement, ce genre de phrase peut encore être prononcé aujourd’hui de la part d’un Juge ou encore de la part d’un officier de police judiciaire car ils ne parviennent pas à comprendre pourquoi une femme violentée par son conjoint est restée autant de temps au domicile conjugal à ses côtés.
C’est ce qu’on appelle notamment le phénomène de l’emprise. Cette femme peut aussi avoir peur des répercussions ou bien elle est tout simplement dépendante financièrement de son époux. Une telle réponse de la part de la justice n’est pas acceptable. C’est même totalement incohérent par rapport aux avancées législatives que nous avons connues depuis 2010 notamment.
Le rôle que tient la police est primordial, car c’est d’abord la porte d’un commissariat qu’une femme battue décide de pousser afin de s’en sortir. Les policiers ont-ils conscience de l’importance de leur rôle ?
Encore une fois, je ne veux pas faire de généralités. Si certains ont parfaitement conscience qu’ils jouent un rôle moteur pour faire cesser le calvaire d’une femme victime de violences conjugales, d’autres ne paraissent pas mesurer la gravité de la situation qui est dénoncée par la plaignante. On peut alors se poser les questions suivantes : est-ce un manque de formation professionnelle ou bien portent-ils un jugement personnel sur la situation qui est exposée bien que cela ne devrait pas avoir lieu ? Or, en niant la gravité de la situation, ils font courir un grand danger à la femme qui trouve enfin le courage de dénoncer son conjoint violent.
Un des témoignages raconte que les violences psychologiques ne sont pas reconnues comme des violences… Est-ce le cas ?
En effet, les violences psychologiques reconnues en France depuis 2010 ne semblent pas être prises en considération de la même manière que les violences physiques. Mes clientes m’ont souvent rapporté que les officiers de police judiciaire ont refusé leur dépôt de plainte car pour eux ce n’était pas un motif suffisant pour se dire « victime de violences conjugales. » Cela signifie que si une femme ne présente pas de traces de coups, elle ne serait donc pas légitime à déposer plainte. C’est inacceptable. Que fait-on du dénigrement au quotidien ? Des insultes à répétition ?
Vous montrez que, trop souvent, les magistrats minimisent l’épreuve endurée par les femmes victimes de violences. Est-ce un défaut d’empathie ou un manque de temps ?
Absolument. C’est un constat assez récurrent. À mon sens, cela s’explique surtout par un manque de formation. Lorsqu’on a en charge une affaire de violences conjugales, il est primordial tant pour un avocat, un magistrat ou encore un officier de police judiciaire de comprendre ce que vit une femme victime de violences conjugales. On doit faire appel à la psychologie. Autrement dit, on en revient à la nécessité absolue de former l’ensemble des professionnels de la justice. Il n’y a pas pire pour une victime de voir ses souffrances endurées être minimisées par un membre de la justice.
Pourquoi 80% des plaintes pour violences conjugales sont-elles classées sans suite ?
Le taux de classement sans suite est affolant. Il peut notamment s’expliquer à mon sens encore une fois par le défaut de formation de la part de la police judiciaire ou bien de la gendarmerie en la matière. On ne peut aussi que s’interroger sur la manière dont les enquêtes sont menées une fois la plainte déposée. Est-ce que toutes les diligences nécessaires à la manifestation de la vérité ont été réalisées ?
À titre d’exemple, dans l’un de mes dossiers, une enquête de voisinage n’a pu être menée car les officiers ne sont pas parvenus à entrer dans l’immeuble de la plaignante. Il aurait fallu qu’ils reviennent à un autre moment. Or, cela n’a pas été fait. Cette plainte s’est soldée par un classement sans suite au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée. Il est parfois précieux d’entendre ce que les voisins du couple en question ont à révéler. Il arrive souvent que ces voisins précisent qu’ils entendent des cris au quotidien...