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Échange avec Rose Lamy

Rose Lamy : « Le travail que font bénévolement les féministes devrait être pris en charge par les médias »

Avec un titre tel que Préparez-vous pour la bagarre (du nom du compte Instagram de l’autrice) Défaire le discours sexiste dans les médias, le premier essai de Rose Lamy nous incite très clairement à une chose : passer à l’action. Nous la prenons au mot et levons avec elle les « poings » indispensables pour un changement radical dans le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles.

  1. Politiser le sujet

Rose Lamy : « Collectivement, les médias et l’opinion publique adhèrent encore tacitement à cette règle : ce qui se passe dans les foyers, a fortiori dans les chambres à coucher, ne nous regarde pas. Or, il faut de manière urgente prendre conscience que les violences sexistes et sexuelles sont des sujets d’intérêt général, des problèmes systémiques de domination et de santé publique. Si on continue à traiter les féminicides, les viols, les agressions sexuelles comme des exceptions à la norme, on n’arrivera jamais à une politisation du sujet. Mettez une alerte Google sur le mot « femme » et vous vous rendrez compte de l’ampleur de la situation. Si ça arrive une fois, ok, c’est une exception à une norme, mais de manière récurrente avec des points communs entre les faits, là vous avez un sujet politique. Politiser c’est donc faire des liens entre toutes les affaires, démonter les mécanismes récurrents. Et cela passe indéniablement par un traitement médiatique de ces sujets ailleurs que dans la rubrique faits divers. A cet égard, j’invite notamment la presse quotidienne régionale à prendre ses responsabilités. »

  1. Appeler un chat un chat

« Il faut en passer par une rééducation générale de l’usage de la langue dans les médias. Chaque affaire de violence sur une femme est un sujet grave qui mérite respect et exactitude. Or, quand on parle de « mains baladeuses » pour une agression sexuelle ou de « crime passionnel » pour un féminicide, on est clairement dans une déformation des faits qui est tenu par le Syndicat National des Journalistes comme une grave dérive de la profession. Un viol est un viol, un meurtre est un meurtre, on ne peut pas laisser place à l’improvisation stylistique. Il faut nommer les violences, arrêter avec les procédés de minimisation, les figures de style qui consistent à diluer les faits, déshumaniser les victimes et déresponsabiliser les auteurs. Récemment j’ai lu ce titre concernant le nombre croissant de viols au GHB : « Marseille lance une campagne axée sur les dangers de la nuit ». Mais comment faire pour lutter contre un concept aussi vague que « la nuit » ? Le problème ce n’est pas la nuit, ce sont les hommes qui violent des femmes après leur avoir mis une drogue dans leur verre. C’est plus long à écrire et sans doute plus désagréable à lire, mais c’est par là que ça changera. »

  1. Bosser les sujets de fonds et revoir le casting des plateaux

« Quand on nomme mal les choses, qu’on qualifie à longueur de temps un viol de « dérapage » ou un harceleur de « séducteur lourd », il ne faut pas s’étonner que les victimes mettent du temps à identifier ce qui leur est arrivé et que le traitement de la plainte prenne du temps voire n’aboutisse pas. L’analyse du psychotraumatisme ou du fonctionnement précis du système judiciaires doivent devenir des sujets de fonds et des outils de contradiction au cœur des échanges sur les faits de violences sexuelles. Quand, le 24 novembre 2021 dans le Live Toussaint, Nicolas Hulot, mis en cause pour agressions sexuelles et viols, se défend en disant « ça peut arriver à tout le monde », cet argument n’est valable que si on a intériorisé que les violences sont accidentelles et que les femmes peuvent accuser à tort. Sinon, ça n’arriverait pas à tout le monde, NON, ça n’arriverait qu’à des gens coupables. Ce n’est pas normal que nous, féministes, fassions le travail bénévolement à la place des journalistes. On nous demande d’être des expertes en psychiatrie, en juridique, en sémantique mais peut-être que ce travail pourrait être fait par les médias… ou alors qu’ils nous invitent sur les plateaux… je pose la question. Et puis cela éviterait aussi ce système de boy’s club médiatique et de protection des élites qui est bien en place. »

  1. Penser l’antiféminisme

« Les arguments antiféministes sont légion dans les médias (« le féminisme c’était mieux avant », « féminazi » etc). Premièrement, ces arguments sont assez faciles à défaire tant ils sont décorrelés du réel : comment peut-on parler de « lynchage médiatique » quand on connaît la réalité d’un véritable lynchage ? Par ailleurs, il y a vraiment un impensé total sur cette question de l’antiféminisme structurel à l’œuvre dans les médias. On la met en dehors du débat d’idées alors que c’est aussi une forme de violence sexiste. Je tiens à la liberté d’opinion, on peut ne pas être d’accord avec mes arguments, mais me qualifier de « hyène en roue libre » par exemple, là on n’est plus dans les règles du débat, c’est une injure sexiste et ça devrait être davantage commenté. »

  1. Et en tant que lecteur.rice et citoyen.ne…

« Pour ce qui est de la radio et de la télévision, on peut faire des signalements aux CSA, c’est déjà mieux que rien. Pour la presse écrite, il n’existe pas d’organisme, mais on peut toujours écrire aux rédactions directement. Personnellement, je veux bien qu’on me signale les articles problématiques sans citer les noms des journalistes : on critique un discours et pas des individus. On peut continuer à faire un travail de pédagogie dans la section commentaire des réseaux sociaux sans injonction, soutenir les gens qui ont un peu de poids dans cette entreprise, offrir mon livre, le faire lire au plus grand nombre. A un moment, on ne peut pas faire plus de contenu pédagogique donc il faut aussi que tout cela soit diffusé, reçu et entendu. »

 

Propos recueillis par Noémie Sudre