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À perdre haleine : Courir contre soi-même

Lauréate 2022 du tout 1er Allen and Unwin Commercial Fiction Prize qui récompense les auteurs néozélandais pour leurs histoires purement « kiwis » mais aux échos universels, Josie Shapiro n’en finit plus de surfer sur le succès de son 1er roman, À perdre haleine, vendu à plus de 10 000 exemplaires dans son pays natal, un fait assez rare pour être souligné ! Il faut dire que le parcours initiatique de la jeune coureuse Mickey résonne en chacun de nous. Lumineuse ode à la résilience, A perdre haleine va vous donner envie de vous dépasser !

S’envoler

L’héroïne du roman de Josie Shapiro est de ces personnages qui laissent une marque indélébile dans le cœur du lecteur. Comment ne pas se prendre de passion pour cette jeune fille dont l’histoire fait écho à toutes les nôtres. Prise dans le maelstrom d’émotions de l’adolescence, Mickey peine à reprendre son souffle. Il n’est pas simple de trouver sa place dans le monde quand on avance lesté d’un corps qu’on ne reconnaît plus et qui vous dégoûte, sous le regard d’un père indifférent et d’une mère inquiète qui ne comprennent pas pourquoi vous ne réussissez pas aussi bien que vos frères et sœurs. Se battant avec les mots qui, sous les effets de la dyslexie, se transforment en mystères indéchiffrables, Mickey ne s’épanouit guère plus à l’école qu’elle ressent comme une prison. « Jeune, obstinée et en colère », Mickey veut plus. Elle veut enfin se sentir visible et surtout vivante. Cette exaltation et cette euphorie, c’est la course qui va les lui procurer. Se découvrant les talents d’une véritable « fusée de poche », voilà Mickey qui s’envole, flottant au-dessus du sol, poussée par un élan insoupçonné venant du plus profond de son être.

L’envers du décor

Derrière « les corps resplendissant de santé » survolant le bitume, se cache une sombre réalité, celle d’une dépossession de ces mêmes corps, dont on use et abuse pour le seul assouvissement d’un désir malsain de résultats. Ancienne jeune nageuse de compétitions, Josie Shapiro sait tout de cette culture misogyne où les entraîneurs masculins imposent une discipline de fer à des jeunes corps en formation, sans jamais prendre en compte les besoins physiologiques spécifiquement féminins. Constamment jaugées et jugées, sombrant dans un désespoir qui les fait bien malgré elles adhérer à des dérives quasi sectaires qui font de la souffrance un mantra, ces jeunes sportives survivent plus qu’elles ne vivent. Mickey ne fait pas exception. Mais Josie Shapiro va plus loin encore, interrogeant les dérives d’un milieu sportif où féminité et maternité sont jugées incompatibles avec les notions de performance et de réussite, où chaque élément de matériel est d’abord pensé pour les hommes avant d’être simplement réduit pour les femmes, où chaque session d’entraînement pratiquée seule met face à des dangers que l’on évoque à demi-mots comme un secret honteux et inavouable. A juste titre, Mickey s’interroge : depuis les années 1970 où l’on autorisa enfin les femmes à courir le marathon, les mentalités ont-elles vraiment changé ?

Un pied devant l’autre

Poussé dans ses derniers retranchements, le corps de Mickey finit par lâcher et elle se retrouve plongée dans une spirale autodestructrice dont l’issue la plus enviable semble être l’anesthésiante douceur du renoncement. Mais ni le deuil, ni les séparations, ni les impressions tenaces laissées par le cauchemar des rêves brisés ne parviennent à entamer la puissante détermination de Mickey, ni son désir inextinguible de voir par-delà les « et si » et de se réinventer en apprenant à s’aimer. En choisissant d’alterner entre le moment présent où l’on suit Mickey, la trentaine, courir le marathon d’Auckland, et le récit de tout ce qui a précédé, Josie Shapiro souligne avec force que le résultat n’importera jamais autant que le chemin parcouru. Le roman se fait alors une célébration de la course comme source de joie, comme puissant lien avec les autres, et comme moyen de communier avec son environnement (Auckland est si superbement décrite qu’elle en devient un personnage à part entière !) Bien sûr, derrière cet envoûtant ballet visuel que nous donnent à voir tous ces coureurs se cachent bien des sacrifices, encore plus fous et beaux qu’ils ont été consentis sans aucune certitude de victoire. Mais la course est à l’image de la vie : « tout est beau, tout fait mal, et c’est parfait ainsi ».

Juliette Courtois