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Le verger de Damas : Le parfum perdu des jours heureux

Amener ceux qui connaissent peu ou mal la Syrie à s’approcher du sujet grâce au pouvoir de la fiction. Voilà comment la grand-reporter Camille Neveux parle de son 1er roman, Le verger de Damas, écrit à quatre mains avec son compagnon syrien. En lice pour le Prix Maison de la Presse 2024, le roman devrait atteindre ce but avec brio ! Porté par une ambition personnelle, celle de transmettre haut et fort la parole des exilés, ce roman donne à voir un pays qui, malgré « la folle cavalcade de mort et de violence » qui ne cesse de s’abattre sur lui, n’a pas renoncé à sa liberté. Foisonnant, haletant et bouleversant.

Un roman personnel

S’il est signé Camille Neveux, Le verger de Damas est un roman écrit à quatre mains : celles de la grand-reporter et de son compagnon syrien Ghaees, un des pionniers de la révolte à Daraya et réfugié en France depuis 2015. C’est à travers ses récits et ceux de tant d’autres femmes et hommes rencontrés au grès de ses reportages au Moyen-Orient que Camille Neveux découvre la Syrie. « Leur histoire à tous, avec son lot d’obstacles et de drames, devient peu à peu la sienne », et elle met un point d’honneur à porter haut et fort « cette parole qui se libère petit à petit au sein de la société syrienne », en dénouant pour nous les fils de « trajectoires familiales émaillées de destructions, de départs précipités et de trésors laissés derrière soi ». Inspiré de personnes et de faits réels, Le verger de Damas n’en reste pas moins un roman, symbole du pouvoir de la fiction qui permet d’ouvrir des fenêtres sur d’autres mondes, d’approcher d’autres cultures et de dire parfois l’indicible… comme un écho au rôle essentiel des livres et des mots prôné par les défenseurs de la liberté de Daraya et leur Bibliothèque des Chemins de la Paix.

Syrie oubliée, Syrie rêvée

La grande force du roman réside dans son foisonnement de détails qui donnent à voir, goûter et sentir la Syrie des vergers luxuriants, des parfums capiteux et des saveurs sucrées, cette Syrie qui n’existe plus aujourd’hui que dans le cœur de tous ceux qui la rêvent en secret. La chronologie du roman permet de mesurer l’étendue des destructions et des pertes orchestrées par les Al-Assad, père et fils. Méticuleusement, le régime a tissé sa toile, gangrénant tous les pans de la société de sa violence brutale et aveugle, transformant chaque citoyen en menace potentielle pour son voisin, enfermant quiconque s’aventurerait hors des chemins du pouvoir. Cette chronologie permet aussi de comprendre comment est montée cette colère sourde d’un peuple bâillonné mais mû par une inextinguible soif de liberté. Le roman s’intéresse particulièrement à la ville de Daraya, frondeuse avant l’heure, qui connut les premiers grands mouvements pacifistes, les premières tentatives de création d’une société civile forte et unie. Le lecteur est emporté par cette révolte de la jeunesse, cette exaltation, puis totalement bouleversé par la répression qui s’ensuivit et qui fit plonger le pays dans les ténèbres.

Nouvelle génération

Nermine, jeune syrienne réfugiée au Liban, est le personnage central du roman. Sa quête d’identité est aussi et surtout une quête de vérité. Par « son caractère volcanique », elle met le monde insensé des adultes face à ses propres contradictions et rappelle qu’il ne sert à rien de leur mentir à eux, enfants syriens forcés de devenir adultes avant l’âge. Portée par sa fougue adolescente, la jeune fille parvient petit à petit à remonter le fil de son histoire peuplée de figures ô combien romanesques : Aïssa, son oncle contraint à l’exil après avoir été l’un des grands instigateurs de la révolte pacifiste de 2011 ; Fulla, sa mère, femme forte et indépendante mais rongée par les blessures du passé ; Moustapha, patriarche éclairé qui n’a jamais cessé de rêver à son verger adoré. Tous ont été contraints au départ et sont devenus aux yeux du monde des réfugiés. Ces hommes et ces femmes, qui possèdent « la délicatesse et la grâce coutumières des grands brûlés de la vie », continuent à avancer envers et contre tout, malgré le poids écrasant d’un passé qu’ils voudraient oublier, malgré les barreaux de leurs prisons mentales qu’ils voudraient faire sauter, malgré cette culpabilité constante d’avoir survécu. Mais sous les cendres qui recouvrent ces cœurs meurtris, crépitent, incandescentes, les braises de la révolte… Et sous l’impulsion des nouvelles générations qui comptent bien faire entendre leurs voix, à l’image de la lumineuse Nermine, ces cœurs sont tous prêts à s’embraser à nouveau pour la liberté.

 

Juliette Courtois